9 février 2025
Aujourd'hui, c'est dimanche. Vous êtes donc bien sur Radio Monbazillac, je suis le Dendrobate Doctor et nous sommes ensemble pour faire l'état de la recherche sur l'épidémie de Covid-19 et le reste.
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Bienvenue à tous sur l’Écho des Labos.
FAKE DE LA SEMAINE
Parfois, un Fake, ce n’est pas le fait d’un obscur poivrot au fond d’un PMU ou d’un grand illuminé sur un compte TikTok à 1 million d’abonnés. Parfois, c’est un chercheur du CNRS (non, on va pas parler de Laurent Mucchielli, ça peut pas toujours être lui) qui sort des énormités dans les émissions de journalistes d’investigation (un vrai, Azalbert rentre chez toi, les grands discutent).
C’est ainsi l’émission « Sur le front » de Hugo Clément qui est aujourd’hui dans le collimateur, ou plutôt son invité. En effet, Hugo décide de faire un sujet sur les espèces envahissantes en France et leur provenance. C’est un sujet sérieux, d’actualité et dont les enjeux sont réels. Pour appuyer son investigation, Hugo décide de faire appel à un chercheur du CNRS (1 point fiabilité), spécialiste de la biodiversité et de la conservation (1 point pertinence) et reconnu par ses pairs pour son travail sur les populations d’amphibiens… et c’est là qu’on arrête la distribution des bons points car le gars va lui parler de la truite arc-en-ciel. Bon il est un peu hors des clous, mais c’est peut-être pas grave, après tout, peut-être que cette truite a un impact sur des populations d’amphibiens qu’il étudie et donc il est pertinent pour expliquer pourquoi elle est invasive. Mais non. Non parce que, déjà, cette truite n’est pas envahissante (elle est exotique, mais tout ce qui vient de l’étranger ne veut pas forcément votre mort, il faut bien le comprendre, et c’est pas vrai que pour les poissons). Ce qui est un peu con parce que le lac est également habité par la perche soleil, qui elle est une espèce envahissante… Ensuite, le chercheur accuse la truite d’être à l’origine de l’eutrophisation (donc le manque d’oxygène) d’un lac devant lequel lui et Hugo se mettent en planque façon Castor Junior pour observer en lousdé la relâche parfaitement légale (et planifiée, c’est comme ça qu’ils savaient que ça aurait lieu ce jour-là) de truites adultes à destination de la pêche. Mais c’est oublier un peu vite que la première cause d’eutrophisation, c’est généralement l’agriculture (l’usage d’engrais et les déchets d’élevage) et qu’il y a des bovins juste à côté, dont le caca est un suspect plus probable (mais infiniment moins glamour) que la truite arc-en-ciel. Enfin, pour finir d’appuyer son propos, il compare ce lac de bord de route avec un autre situé à plus de 2200m d’altitude, ce qui revient à peu près à comparer le jardin de ma grand-mère avec la forêt de Guyane pour pouvoir l’accuser elle et son déambulateur d’être la cause de l’absence de mangrove sur sa pelouse.
Le CNRS a, pour une fois (n’y prenez pas trop goût, ça se reproduira pas tous les jours), réagi par l’intermédiaire de son directeur de pôle Écologie & Environnement, en condamnant fermement les propos de son agent, tant sur le fond que sur la forme (même si en vrai, je trouve que c’est surtout le fond qui compte, si le gars avait dit que des trucs corrects, il aurait pu le faire en slip à fourrure que ça m’aurait été égal, même si ça doit cailler comme ça en haute montagne mais bon ton corps ton choix mec tu fais comme tu le sens).
DÉCOUVERTE DE LA SEMAINE
La maladie de Charcot est une pathologie bien nulle de la catégorie « turbo-saloperie de sa grand-mère en slip » (oui, c’est une taxonomie parfaitement scientifique et objective). Appelée aussi sclérose latérale amyotrophique (ou SLA), la maladie de Charcot ne laisse pas présager de sa présence (seule une minorité de cas est génétique et peuvent être suspectés si un membre de la famille est atteint) avant qu’il ne soit trop tard : les motoneurones (les neurones en charge des capacités motrices) dégénèrent et lorsque les premiers symptômes apparaissent (atrophie musculaire, perte de force dans les mains et les pieds, paralysie, trouble de la parole et de la déglutition…), il ne reste généralement que 3 ans à vivre au patient, jusqu’à 5 s’il bénéficie assez tôt de traitements permettant de freiner un peu l’évolution de la maladie, comme le riluzole ou l'édaravone. Il n’y a pas de traitement curatif en développement et la maladie reste très mal comprise.
Toutefois, les chercheurs se sont demandé si les troubles du sommeil, importants dans le cas de la maladie, en étaient une conséquence ou s’ils étaient préexistants, et dans ce cas peut-être un facteur aggravant. Ils ont donc comparé plusieurs dizaines d’enregistrements du sommeil de patients atteints à des patients contrôle, mais aussi à des patients en bonne santé mais porteurs des quelques rares mutations génétiques identifiées dans les cas de maladie de Charcot familiale. Lesrésultats(https://www.science.org/doi/10.1126/scitranslmed.adm7580) indiquent que le groupe des malades et le groupe des porteurs sains présentent les mêmes anomalies du sommeil, « un temps d'éveil plus important et une quantité de sommeil profond inférieure aux données issues des groupes contrôles ». Les chercheurs suspectent un groupe particulier de neurones de l’hypothalamus, les neurones dits « à orexine », qui jouent en temps normal un rôle important dans la stimulation et que les médecines inhibent pour traiter certaines insomnies. L’administration d’un traitement similaire chez des souris atteintes de la SLA : en une seule prise, le traitement a restauré leur sommeil, et après 15 jours de traitement, il a pu être observé une conservation des motoneurones, là où on s’attendait à les voir dégénérer. Les chercheurs entendent maintenant lancer des essais cliniques sur l’humain, avec l’espoir que restaurer le sommeil des patients permettra de ralentir la maladie. Ils ignorent toutefois encore combien de temps peut être gagné ainsi.
PISTE DE LA SEMAINE
Pneumocoque : suite à une nouvelle évaluation, la Haute Autorité de Santé recommande aujourd’hui l’élargissement de la vaccination contre le pneumocoque à l’ensemble des plus de 65 ans. Principalement cause de formes respiratoires graves chez les personnes âgées comme chez les enfants, la bactérie est responsable à elle seule de plus de 40% des formes d’infections invasives (méningites, septicémies…). On rappelle que cette vaccination demeure obligatoire chez les enfants depuis 2008, et fortement recommandée pour tous les adultes présentant des fragilités, de type asthme, BPCO, ou anomalies cardiaques.
IMPASSE DE LA SEMAINE
Expertise judiciaire : la science n’est pas toujours bien utilisée lorsqu’il est question de rendre la justice (on en a parlé il y a pas longtemps, vous pouvez aller rechercher dans les archives de la chronique le Point Méthode où je traite de la différence entre science et justice), et le cas de Lucy Letby pourrait bien faire date. Lucy Letby est une infirmière néonatale et, en 2023, elle a été condamnée au UK à la réclusion à perpétuité pour le meurtre de 7 nourrissons laissés à sa charge, ainsi que la tentative de meurtre de 7 autres bébés. Seulement il y a un hic : Lucy a toujours nié, personne ne l’a vue commettre les crimes (notamment parce que l’unité était en sous-effectif, laissant souvent un personnel seul avec toute la pouponnière) et la seule preuve que les bébés ne seraient pas morts de cause naturelle est une décoloration particulière que présentaient les corps. L’accusation s’est appuyée sur un article d’un médecin canadien, le Dr. Shoo Lee, pour affirmer que cette décoloration était due à un phénomène particulier, l’embolie gazeuse, qui ne pouvait survenir que par l’injection d’air dans les voies intraveineuses ou les sondes gastriques des bébés. Sauf que la défense de Lucy présente aujourd’hui, pour demander la révision de son procès, une contre-expertise signée par 14 professionnels de la santé pédiatrique, et dirigée par… Shoo Lee en personne, qui dit que le procureur a fait dire n’importe quoi à son article. Et pour eux, pas un seul des 14 cas n’est un meurtre ou une tentative de meurtre, tous sont des incidents issus de cause naturelle ou de mauvais soins imputables au sous-effectif et au manque de formation de certains professionnels. Pointant des diagnostics à l’emporte-pièce, une hygiène non conforme aux normes de néonatologie et des gestes parfois brutaux exécutés sur des patients terriblement fragiles, Dr Lee a ainsi confié à la BBC(https://www.bbc.com/news/articles/cvgl5yyg1x6o) que « L'hôpital aurait dû fermer, mais peut-être le personnel n'est-il pas capable d'admettre sa propre négligence. » La justice doit se prononcer sur un éventuel nouveau procès.
MAUVAISE NOUVELLE DE LA SEMAINE
Grippe aviaire : une nouvelle souche de grippe aviaire a été découverte chez les vaches aux USA. Cette souche, qui vient donc de manière confirmée de franchir la barrière des mammifères, inquiète car elle est connue pour créer des formes beaucoup plus graves chez l’humain que la souche jusque là en circulation chez les bovins. Il est donc à craindre que plus de cas graves, contaminés par les troupeaux laitiers, puissent apparaître dans les semaines à venir. Le risque de mutation permettant au virus de franchir la barrière de l’espèce et de devenir transmissible de l’humain à l’humain augmente. Et non, on ne peut pas s’en réjouir, même si Donald est un prénom de canard, il y a peu de chance que cette souche nous débarrasse de l’agent orange qui est en train de sulfater le pays…
BONNE NOUVELLE DE LA SEMAINE
Collaboration : le monde part en vrille, on a pas trop de doute là tout de suite. Mais c’est dans la tempête qu’on peut aussi voir comment on peut compter les uns sur les autres. Les chercheurs américains sont en train de massivement exfiltrer leurs données médicales ou climatiques vers des collègues de confiance ailleurs dans le monde. Les scientifiques du monde entier travaillent activement à généraliser l’Open Source et l’Open data. Et moi de mon côté, petite grenouille qui ne peut pas grand-chose mais qui peut alerter en coassant fort dans sa mare, vous pouvez me retrouver chez Cogito Ergo Seum (https://youtu.be/mdpF4jDTbfo?si=SOYK3_M4wZTi8mQx), qui m’a demandé de venir expliquer sur sa chaîne les implications des dernières dingueries en date. C’est pas joyeux, mais quitte à être tous dans le même bateau qui prend l’eau, on écope mieux entre copains.
« QU’EST-CE QUE PUTAIN DE QUOI ? »
Avec ce qui se passe en ce moment aux USA, on ne peut qu’être inquiets. Mais sur ce qui est l’aspect de la santé, il faut bien comprendre qu’ils sont mal barrés depuis bien, bien longtemps. Depuis en fait qu’ils se sont dit qu’ils préféraient payer chacun dans leur coin des assurances santé plutôt que de devoir payer des impôts pour ça.
Je suis ainsi tombée sur ce graphique très parlant de Our World in Data(https://ourworldindata.org/grapher/life-expectancy-vs-health-expenditure?time=earliest..latest), sur lequel vous pouvez observer le déclassement des USA en direct, faisant d’eux le pays où les dépenses sont les plus chères par personne, pour une espérance de vie pami les plus faibles de tous les pays du monde non-touchés par des situations de guerre, de famine ou d’épidémies endémiques. Il ne fait plus rêver grand monde, le rêve américain…
POINT MÉTHODE DE LA SEMAINE – A quoi ça sert, les instituts de recherche publics ?
A l’heure où le pays du pygargue a plus que jamais du plomb dans l’aile, il peut être légitime de se poser la question de l’utilité réelle des agences de recherche payées par l’État. Après tout, ça se trouve c’est Trump qui a raison (sur un malentendu, ça doit bien arriver une fois de temps en temps).
Le problème, c’est que pour comprendre l’utilité d’un organisme de recherche, il faut en comprendre toutes les implications étendues, et ça implique de réfléchir, de prendre de la hauteur et d’examiner plus de choses qu’un brief avec 3 bullet points. Et ça n’est pas la spécialité de l’actuel locataire de la maison blanche. Donc on va prendre un cas d’école.
La NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration) est l'Agence américaine d'observation océanique et atmosphérique, et elle est en train de se faire démanteler vitesse grand V parce que sa spécialité sur les dernières années, c’est le développement durable et les réglementations de type « anti-pollution », « pro-biodiversité », « anti-énergie fossile », bref tout ce qui emmerde très fort les gens dont le métier est de faire plein d’argent peu importe s’ils saccagent tout au passage et qu’après eux le déluge (littéralement, pour le coup…). Donc, ça pourrait, potentiellement et si on s’en fiche des conséquences, être un simple choix politique : on veut ou on ne veut pas étudier un truc versus on veut ou on ne veut pas faire du fric à n’importe quel prix. Mais c’est oublier un peu vite que la réalité et les faits se fichent pas mal de votre inclinaison politique, idéologique, philosophique, ou autre truc du genre. Et ce rappel cruel des faits, on peut en fait le trouver dans l’histoire même de la création de la NOAA par Nixon (qui était quand même pas un woke de service prompt à créer un « repère de Marxistes » pour reprendre les mots de notre adepte du salut romain). Le but originel de l’agence était de « mieux protéger la vie et la propriété des catastrophes naturelles, de mieux comprendre l'environnement, [et] pour l'exploration et le développement vers une utilisation intelligente des ressources marines ». Et vous avez dû tiquer sur un truc à ce stade : catastrophe naturelle.
Oui. Donald et son pote sont en train de fermer l’agence qui avertit les populations des orages violents, qui déclenche les alertes aux tornades et qui coordonne les opérations de sauvetage en conditions météorologiques difficiles. Parce que la science et la recherche ont des implications dans la vie de tous les jours. Et que ce n’est pas parce qu’on n’y comprend rien qu’on en a pas besoin. Lorsqu’il y a des instituts de recherche publique, c’est généralement que plein de gens très compétents ont passé un temps fou à expliquer à des dirigeants avec la capacité d’attention du furet sous ecstasy que le problème très concret que rencontrait la population ou qu’elle allait rencontrer dans le futur pouvait être résolu ou mitigé en finançant et soutenant le travail d’eux et plein d’autres collègues à eux. Et décider de s’en passer, c’est un peu comme démanteler les digues d’un village en bord de mer sous prétexte que vous avez pas vu d’eau dans les rues depuis des années et que les pierres feraient une très jolie sculpture dans votre jardin…
En espérant avoir pu apporter un peu de lumière dans le chaos ambiant, je rends l'antenne, et on y retourne la semaine prochaine, car l'épidémie ne se termine pas avec le coup d’état en cours chez nos amis de l’autre côté de l’Atlantique. En attendant, prenez soin de vous et des chercheurs qui bossent dur, et, plus que jamais, aimez la science, la vraie, et ceux qui la font. Ils ont besoin de votre soutien. Bisous.