8 décembre 2024
Aujourd'hui, c'est dimanche. Vous êtes donc bien sur Radio Dordogne, je suis le Dendrobate Doctor et nous sommes ensemble pour faire l'état de la recherche sur l'épidémie de Covid-19 et le reste.
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Bienvenue à tous sur l’Écho des Labos.
FAKE DE LA SEMAINE
En cette période hivernale, où les épidémies respiratoires vivent leur meilleure vie, on voit régulièrement fleurir, à défaut de roses de Noël, les mêmes désinformations sur les campagnes de prévention. On entend dire que « on va pas se revacciner une 8e fois contre le Covid », que « de toute façon, ça sert à rien, même que les toubibs l’ont reconnu », que « le vaccin contre la grippe, ça sert que éventuellement pour les très vieux et encore » parce que « même que moi je l’ai fait une fois et c’est l’année où j’ai eu la pire grippe de ma vie, d’abord ». Et comme tout ça, c’est souvent sorti ensemble, on va tout traiter en paquets.
« J’ai fait le vaccin une fois, et c’est l’année où j’ai vraiment le plus souffert de la grippe » : ce qui est le plus probable, dans ce cas, c’est que c’est en fait la seule année où vous avez réellement eu la grippe (et dans ce cas le vaccin vous a évité de terminer aux urgences). Les gens confondent très souvent la grippe, qui est une infection par un des virus de la grippe (Alphainfluenzavirus pour la grippe A, Betainfluenzavirus pour la grippe B etc.), avec le fait d’être grippé ou d’avoir un syndrome grippal, qui lui est causé, dans la plupart des cas, par pas moins de 8 familles de virus différentes, plus ou moins agressives. Mais la grippe, la vraie, elle est méchante, si vous avez une grosse crève pendant une semaine, vous n’avez probablement pas la grippe. Si vous avez la grippe, Cochrane et le Vidal sont assez formels, le repos est nécessaire, votre place est au fond d’un lit (le vôtre, avec un peu de chance, celui du service de pneumologie, si vous en avez moins). La grippe est une maladie qu’il faut prendre au sérieux, et le vaccin est la seule chose qui vous permet de réduire les risques de forme sévère.
« Le vaccin contre la grippe, ça sert que si on est très vieux » : déjà, il est fortement recommandé par l’OMS pour les plus de 65 ans, mais également pour les moins de 5 ans, les femmes enceintes (à quelque stade de la grossesse que ce soit), les professionnels de santé et les personnes ayant des pathologies chroniques. Donc clairement, les gens qui en ont besoin de manière critique, c’est pas juste Mamy et Papy. Mais dans les faits, tout le monde peut bénéficier de la vaccination, et pour ça, il suffit de regarder les chiffres d’hospitalisation. Ainsi, si vous consultez les chiffres du réseau Sentinelle, ils vous montreront que, pour la semaine 40 par exemple, la moitié des personnes admises en réanimation pour cause de grippe avaient plus de 65 ans, mais 12% sont des mineurs et le reste des adultes non-séniors, donc ne pas être à la retraite ne vous protège pas. L’asthme est une pathologie fréquente, le diabète aussi, mais 17% des patients que la grippe envoie en réanimation n’avaient aucun facteur de risque, aucune comorbidité, c’est presque un sur cinq, personne n’est à l’abri d’un coup de pas de bol. Mais surtout, sur l’ensemble des patients, seuls 8% sont vaccinés contre la grippe pour la saison en cours. Les non-vaccinés sont surreprésentés en réanimation, peu importe leur âge. Et ils n’y font pas une visite de courtoisie : 29% sont intubés pour pouvoir respirer, et pour 3% la défaillance pulmonaire est si grave que les médecins ont recours à la circulation extracorporelle (en gros, on branche un gros tuyau dans chaque bras, d’un côté ça aspire votre sang pour le passer dans une machine qui le charge en oxygène, de l’autre côté ça le réinjecte pour que votre cerveau continue à fonctionner… autant dire que c’est pas fun).
« On va pas encore se revacciner contre le Covid, si on doit en faire une 6e dose, c’est bien la preuve que ça marche pas » : je me vaccine chaque année contre la grippe, parce que le virus mute vite. Le virus du Covid mute vite également, donc je me vaccine également chaque année, parce que le même problème (un taux de mutation élevé) demande la même solution (une vaccination fréquente pour suivre la fréquence de mutation). Ce n’est pas un concept ésotérique ou compliqué.
« Ça protège de rien le vaccin Covid, même les toubibs ils le disent » : non, ils disent que ça n’empêche pas de l’attraper, pas que ça ne protège pas. Et pour voir ça, on va reprendre les chiffres du réseau Sentinelle, toujours semaine 40. Sur les patients admis en réanimation pour Covid, 1 sur 10 est un mineur, dont l’immense majorité (7 contre 3) a même moins de 2 ans. Oui, les enfants peuvent nécessiter des soins intensifs à cause du Covid. Les séniors représentent un peu plus des deux tiers des patients, le reste étant des adultes, mais, surtout, seuls 3% de ces patients présentent une vaccination Covid de moins de 6 mois. Est-ce que ça veut dire que quasiment personne qui est vacciné chope le Covid ? Non, bien sûr que non. Mais ça veut dire, et les chiffres sont formels, que quasiment personne de vacciné n’atterrit aux soins intensifs pour ça. Et ça, c’est pas « rien » comme protection, si je ne m’abuse.
DÉCOUVERTE DE LA SEMAINE
Les découvertes sont parfois de bien mauvaises surprises, mais si on veut faire des choix éclairés, il faut savoir même les choses qui nous déplaisent. Aujourd’hui, on va parler un peu des ogres de la fast fashion, cette catégorie de vêtements pas chers, de qualité généralement pas top parce que pas conçus pour durer. Alors, clairement, ce n’est pas une industrie que je porte dans mon cœur, elle est à l’origine d’une quantité astronomique de pollution, a une empreinte carbone digne de Bernard Arnault à qui on aurait offert un nouveau jet pour Noël et est produite dans des conditions de travail auquel aucun être humain ne devrait être soumis au XXIe siècle. Et malgré ça, j’étais encore loin du compte en ce qui concerne les aspects problématiques de la chose.
En Corée, lorsqu’ils sont pas occupés à porter leurs députés par-dessus les grilles du Parlement pour qu’ils aillent s’opposer à un coup d’état, ils aiment bien garder un œil sur ce que le voisin Chinois produit. Et c’est ainsi qu’une équipe de Séoul a testé, sur demande du gouvernement métropolitain, 26 vêtements vendus par Temu, Shein et AliExpress. En particulier des vêtements destinés aux enfants. Les résultats (je vous donne la seule source que j’ai trouvée qui ne soit ni derrière un paywall ni en coréenhttps://www.straitstimes.com/asia/east-asia/south-korea-finds-excessive-levels-of-toxins-in-kids-clothing-sold-on-some-chinese-e-commerce-sites) sont plus qu’accablants. Une veste pour enfant de Temu contient ainsi 3.6 fois la limite légale de plomb et 3.4 fois celle de cadmium, deux métaux hautement toxiques pour la santé humaine, le premier étant connu pour donner une maladie appelée le saturnisme et le second étant cancérogène (en vrai c’est surtout par ingestion, et c’est bien connu qu’on peut parfaitement faire confiance aux enfants pour ne pas mettre n’importe quoi dans la bouche). Différents produits de la même marque ont montré des taux hallucinants de phtalates, des substances plastifiantes dont nombre sont des perturbateurs endocriniens (c’est-à-dire des trucs dangereux particulièrement pour les enfants) supérieurs entre 294 et 622 fois la limite légale (non, je n’ai pas oublié les virgules). Les autres ne font pas mieux : chez AliExpress, des chaussures de petite fille explosent d’un facteur 5 la limite autorisée de plomb et un pyjama décroche le record à 19.12 fois le seuil légal. Shein semble épargné, mais vu que tout sort des mêmes usines, pour les chercheurs, il s’agit d’un coup de bol lié au petit nombre d’échantillons analysés. Et il est même possible que les examens suivants tombent sur des trucs encore pires.
Alors, je ne suis pas la bonne personne pour parler de ça, car le shopping m’ennuie, j’achète des vêtements quand j’en ai vraiment besoin, je suis difficile quand je le fais et moins j’y passe de temps mieux je me porte, donc je ne suis pas bien placée pour comprendre les gens dont c’est un aspect agréable de leur vie. Mais je peux juste vous dire que la petite poussée de dopamine que vous ressentez à l’idée d’avoir un nouveau petit top ne vaut pas que vous empoisonniez votre organisme aux métaux lourds.
PISTE DE LA SEMAINE
Alcool : à l’approche des fêtes de fin d’année, de ses excès divers et variés et des disputes qui les accompagnent régulièrement, il est intéressant de savoir que les chercheurs comprennent un peu mieux désormais pourquoi on est plus agressif sous l’emprise de l’alcool (et oui, ça peut être parce que Tonton Gérard est lui aussi bourré et déblatère depuis une demi-heure sur les étrangers qui nous volent notre travail en touchant des allocations sans jamais bosser, et que ça donne des envies de lancer de chaise, mais il n’y a pas que ça). C’est une équipe de l’Ohio qui a publié des résultats d’expérimentation(https://www.jsad.com/doi/abs/10.15288/jsad.24-00144) et ceux-ci montrent deux choses. La première, et on le savait déjà un peu, c’est que l’alcool anesthésie et fait que les gens sont plus tolérants à la douleur. Mais la seconde, plus inattendue, et que cet état de résistance modifie également la manière dont on perçoit la douleur chez les autres. Ainsi, les freins à l’agressivité, que nous avons en tant qu’espèce sociale, pour nous empêcher de faire du mal aux autres seraient moins opérationnels car la perception du risque d’infliger une douleur, physique ou psychologique, est faussée. Donc non, on ne lance pas les chaises, Tonton Gérard aura mal pour de vrai, et c’est pas dit que la commotion cérébrale le rende plus sensé…
IMPASSE DE LA SEMAINE
Dérives sectaires : la Miviludes est sous-financée et en carence d’effectifs (là je crois qu’ils sont 10). En conséquence, les dérives prospèrent de toutes parts, en particulier dans le registre des pseudo-médecines. Cette semaine, c’est la « médecine symbolique » (je suppose que c’est comme un achat pour un euro symbolique, un truc où on fait genre qu’il s’est passé quelque chose mais tout le monde sait bien que c’est vraiment juste pour faire illusion) qui est sous l’œil des journalistes (en particulier du Figarohttps://www.lefigaro.fr/actualite-france/ils-ont-cree-une-galaxie-de-charlatans-ces-medecins-de-l-ame-qui-pretendent-vous-guerir-avec-une-baguette-de-sourcier-20241129) parce que le couple de fondateurs prétend communiquer avec l’invisible pour vous guérir grâce à des baguette de sourcier vu que toutes les âmes sont reliées entre elles via un biocompensateur géodésique (ok, la fin c’est moi qui l’ai rajoutée, mais tout le reste est authentique). Évidemment, ça cible les personnes fragiles, des gens vont avoir des retards de diagnostic et vont certainement mourir pendant que ces charlatans-là se feront plein d’argent sur leur dos, la routine habituelle quoi. Et clairement, voyez-vous, j’ai pas besoin d’avoir repris du vin de Noël pour avoir des envies de lancer de chaises face à ces gens-là.
MAUVAISE NOUVELLE DE LA SEMAINE
Épidémie inconnue : depuis fin octobre, une étrange maladie sévit au Congo. Le ministère de la santé a annoncé qu’un mal non-identifié avait tué au moins 79 personnes en seulement 6 semaines, tandis que les autorités de la province du Kwango parlent d’entre 67 et 143 morts au comptage de lundi. Les personnes infectées présentent d’abord des symptômes similaires à la grippe avant d’entrer en détresse respiratoire et d’être atteintes d’anémie. Kinshasa a annoncé déployer des équipes d’investigation médicale sur place. Déjà très touché par la variole du singe (un millier de morts et près de 50.000 cas suspectés), le pays redoute l’apparition d’une nouvelle épidémie, probablement liée à la déforestation et au contact avec les espèces sauvages : il n’a absolument pas les infrastructures pour faire face.
BONNE NOUVELLE DE LA SEMAINE
Faune sauvage : le dernier millésime du concours photo de Nature in Focus a vu Christian Ziegler remporter la catégorie Portrait grâce à son cliché(https://www.natureinfocus.in/wildlife-photography-contests/winners/2023/the-bonobo-and-his-pet) documentant un comportement très rare. Un mâle bonobo berçant un bébé mangouste et s’en occupant avec soin, comme nous le ferions avec un chaton. Après de longues minutes de caresses, le bonobo a délicatement relâché le petit mammifère, parfaitement indemne. Documenté une seule autre fois sur le même site jusqu’alors, le comportement émerveille mais ne surprend guère les primatologues : nous aussi, nous aimons beaucoup cajoler des bébés animaux, et nos proches cousins sont réellement proches en tous points.
« QU’EST-CE QUE PUTAIN DE QUOI ? »
La semaine dernière, Didier Raoult a vu son 26e article scientifique rétracté. Ce faisant, il approche du top 30 des scientifiques les plus rétractés au monde (plus précisément, il lui en faut encore 4 pour entrer dans le classement). Il s’agit de son 14e article dont la communauté scientifique a dit « non Didier, ça, c’est pas de la science, c’est de la bidouille, sérieux t’as fait quoi aux données des tes tableurs Excel, on dirait la comptabilité d’Al Capone » depuis le mois de juin et son 23e depuis le début de l’année. Ce n’est toutefois que la partie émergée de l’iceberg, puisque que sur 2024, Raoult totalise 186 mentions préoccupantes (23 rétractations donc, 1 correction d’article et 162 EOC « expression of concern » une mention qui indique de l’éditeur est en train d’enquêter et qu’il y a clairement cachalot sous galet). On notera une journée particulièrement noire au 3 avril, qui arrive à mettre en difficulté à elle seule la base de données de RetractationWatch tellement il y a eu de mentions entrées ce jour-là. Celles-ci, ajoutées à deux précédentes rétractations et une EOC en 2023, 53 EOC en 2022, une autre rétractation, deux corrections et une EOC en 2020 ainsi qu’une précédente EOC en 2016 monte le score de notre Didier national à 247 mentions préoccupantes. En lui faisant grâce des corrections (même si là, admettre la bonne foi commence à demander des trésors de confiance en l’être humain que, étant quelqu’un qui regarde des deux côtés avant de traverser des rues à sens unique, je ne possède pas), on arrive à un total de 244 articles qui sont reconnus ou suspectés d’être trafiqués, frauduleux ou, au mieux, nuls. S’ils venaient à être effectivement tous rétractés, Didier prendrait ainsi la place de numéro 1, loin devant Joachim Boldt et ses 220 rétractations (et on est déjà face à une énorme, immense ordure, je vous encourage à faire des recherches sur le bonhomme si vous ne le connaissez pas).
POINT MÉTHODE DE LA SEMAINE – Une base de données pour la rétractation
Vu ce dont on vient de parler, je me suis dit que ce serait bien de faire un point. Rétracter un article ne suffit pas, il faut que les chercheurs le sachent, sinon ils risquent de continuer à s’en servir. Ainsi, si vous voulez savoir si un auteur a eu un article rétracté ou si un article en particulier est sous enquête, vous pouvez utiliser la merveilleuse base de données de RetractationWatch (https://retractiondatabase.org/).
Comment ça marche ? L’interface est un peu austère, mais ne vous laissez pas impressionner. Comme toute base de données, il va être question de naviguer entre deux écueils : le silence et le bruit. Et comme il est toujours plus facile de réduire que de trouver des trucs qui ne sont pas là, on va prendre le risque du bruit, c’est-à-dire d’avoir trop de réponses, plutôt que du silence, c’est-à-dire n’avoir aucune réponse.
Dans l’outil de recherche, commencer par entrer une seule donnée (le nom de l’auteur ou le titre de l’article par exemple). La base de données n’est pas très puissante en termes d’affichage, et ne vous donnera donc que les 50 premiers résultats. Dans le cas de Raoult, pour faire un décompte précis, ça ne va pas, il va donc falloir faire un tri.
Le tri le plus évident à faire est par date. Mais attention, pas par date d’article, car les rétractations peuvent avoir lieu longtemps après la publication, la date d’émission de la notice préoccupante. Veuillez noter que, pour tout ce que j’admire le travail de RetractationWatch, ils ont le défaut d’être Américains, et d’utiliser donc un format de date à la con, où il faut mettre d’abord le mois, puis le jour, puis l’année. Ça peut prêter à confusion. Dans le cas de Raoult, même ça ne suffit pas, notamment à cause de la journée fatidique du 3 avril 2024, qui totalise 57 notices préoccupantes à elle seule.
Dans ce cas-là, on peut opérer un second tri, cette fois-ci par date de publication d’articles. Il est intéressant dans ce cas de mettre une unique borne temporelle (par exemple « Jusqu’au 31/12/2020 » ou « à partir du 01/01/2021 ») qui permettra de ne pas exclure accidentellement des plages temporelles. Dans notre cas, le filtre qui permettait une division exploitable était « jusqu’au 01/01/2019 » (47 items) et « à partir du 02/01/2019 » (10 items), indiquant au passage que lorsque Didier gueule qu’on censure ses travaux pour cacher la vérité sur l’hydroxychloroquine, il se fout de notre tronche : l’immense majorité de ses articles rétractés datent d’avant l’épidémie. Pour en être sûre, j’ai même appliqué le filtre « jusqu’au 01/11/2019 », qui est la date des premiers cas recensés de Covid, seul, sans date de notice. La base de données me renvoie 220 résultats, indiquant donc que, sur les 247 informations préoccupantes ciblant Raoult, 220 concernent des études écrites avant même l’apparition du Covid, et donc ne pouvant porter sur ça.
C’est pour ça que c’est rigolo les bases de données, ça vous raconte plein de trucs si vous savez les interroger
En espérant avoir pu apporter un peu de lumière dans le chaos ambiant, je rends l'antenne, et on y retourne la semaine prochaine, car l'épidémie ne se termine pas avec l’ascension de Didier vers le podium de la fraude scientifique. En attendant, prenez soin de vous et des chercheurs qui bossent dur, et, aimez la science, la vraie, et ceux qui la font. Bisous.
Crédits illustration : Tipuncho